Le Conseil de l’Union Européenne (UE), sous la présidence de la Croatie, a proposé de modifier le règlement européen n°261/2004 donnant aux compagnies aériennes des obligations de prise en charge et d’indemnisation des passagers en cas de vol retardé, annulé, ou de surbooking.
Les modifications demandées sont très clairement en faveur des compagnies aériennes. Si elles sont adoptées, les droits des passagers reculeraient de manière considérable puisque la grande majorité des vols perturbés actuellement “indemnisables” ne le serait plus.
Les modifications proposées visent à contrer une grande partie des décisions prises par la Cour de Justice de l’Union Européenne durant les quinze dernières années, celles-ci étant favorables aux passagers.
Les changements proposés et leurs conséquences sur les droits des passagers
Voici les principales modifications proposées par le Conseil de l’UE :
- Passage du temps de retard de 3 heures actuellement à 5 heures, 9 heures ou 12 heures selon la distance de leur vol ;
- Les problèmes techniques qui risqueraient de menacer la sécurité du vol ne sont plus une cause de retard permettant d’être indemnisé ;
- Les vols à escale avec un départ en Europe et un tronçon perturbé hors-Europe ne seront plus indemnisés. Par exemple, un vol Paris-Dallas via New-York dont le vol New-York vers Dallas est annulé ;
- Tout vol au départ ou à l’arrivée d’un “petit aéroport” (fréquenté par moins d’un million de passagers par an) ne serait pas éligible à une indemnité. Des aéroports comme Toulon, Clermont-Ferrand, Perpignan, Calvi, Pau ou Figari seraient par exemple concernés ;
- Tout vol au départ ou à l’arrivée d’une région ultrapériphérique de l’UE (dont la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, Mayotte et la Réunion) ne serait pas couvert par le droit à être indemnisé ;
- Tout vol au départ ou à l’arrivée d’un aéroport qui accueille des vols subventionnés par une collectivité (au titre d’un service public de transport aérien) ne serait pas couvert par le droit à être indemnisé ;
- La mise en place d’une liste exhaustive de circonstances extraordinaires. Les circonstances n’ont jamais été précisément définies par le règlement européen ; cette liste indiquerait donc quel événement correspond à une circonstance extraordinaire. On y retrouve les conditions météorologiques difficiles, les restrictions au trafic aérien par les contrôleurs, les problèmes médicaux (des passagers ou de l’équipage), ou encore la collision de l’appareil avec des oiseaux ;
Des modifications visant à éliminer la majorité des cas d’indemnisation
Les temps de retards indiqués (5 heures, 9 heures et 12 heures) sont dans les faits bien plus rares qu’un retard de 3 heures, et excluraient donc l’indemnisation de millions de passagers chaque année. D’autant plus que quand bien même un retard accuserait un tel retard, une compagnie ne manquerait pas d’expliquer qu’une circonstance extraordinaire en est la cause, excluant donc d’indemniser le passager. Ainsi, si jamais un vol d’une distance inférieure à 1500 kilomètres subissait un retard d’au moins 5 heures, la compagnie risquerait d’expliquer que des conditions météorologiques difficiles et l’accumulation de retard sur les vols précédents qui en résulte sont la cause de ce retard et ne permettent donc pas au passager d’être indemnisé.
« Cette modification si elle est adoptée serait à la fois très grave pour les droits du consommateur européen qui voyage en avion et réduirait considérablement les efforts de ponctualité des compagnies aériennes » estime Anaïs Escudié, Présidente de RetardVol
Des territoires français exclus du règlement Européen !
Il faut également remarquer que les passagers décollant ou atterrissant dans des aéroports ultramarins, des petits aéroports, ou des aéroports qui accueillent des vols de compagnies subventionnées par la collectivité n’auraient tout simplement pas le droit d’être indemnisés. Et ce, sans davantage d’explication ou de raison. “Étonnamment”, Ryanair est une compagnie qui dessert de nombreux petits aéroports. Les passagers de Ryanair seraient-ils donc les plus concernés par cette exclusion du droit d’être indemnisés ?
Des précisions sur les circonstances extraordinaires
La liste exhaustive de circonstances extraordinaires pourrait être vue comme positive pour le passager, car tout évènement qui n’est pas listé devrait donc être considéré comme ne permettant pas à la compagnie de s’exonérer de l’obligation d’indemniser les passagers. Le règlement actuel ne détaille effectivement pas ces circonstances, et c’est la jurisprudence qui s’en charge. C’est le cas lorsqu’une décision est rendue, après de nombreuses années, par une cour de haute importance comme la Cour de Cassation ou la Cour de Justice de l’Union Européenne. Cette liste permettrait d’éviter donc de nombreuses demandes de clarifications auprès de ces cours. On retrouve dans cette liste : les conditions météorologiques difficiles, les restrictions au trafic aérien par les contrôleurs, les problèmes médicaux (des passagers ou de l’équipage), ou encore la collision de l’appareil avec des oiseaux.
Cependant, la liste ajoute également les cas où un membre de l’équipage tombe malade peu avant le vol. La Cour de Cassation a pourtant récemment jugé que la maladie soudaine d’un pilote qui provoque l’annulation d’un vol n’est pas un événement inhabituel et ne peut pas être qualifié de circonstance extraordinaire. Les passagers peuvent donc être indemnisés pour le moment dans ces situations.
Il faut remarquer que les problèmes techniques ne sont pas compris dans cette liste. On pourrait en conclure qu’un problème technique n’exclut donc pas l’indemnisation des passagers. Pourtant, les problèmes qui sont “de nature à compromettre la sécurité du vol” (un problème sur une roue ou sur un volet de l’appareil par exemple), auraient le même effet d’empêcher l’indemnisation des passagers. Ce nouveau règlement vise donc à réduire les cas d’indemnisation au strict minimum, aux seuls problèmes mineurs qui en pratique provoquent rarement des retards de 5 à 12 heures.
Autre point intéressant : les montants des indemnisations ne sont pour le moment pas diminués. Il n’est cependant pas impossible qu’ils le soient à l’occasion des débats préalables à l’adoption du texte par l’Union Européenne.
Une action de lobbying à l’insu des consommateurs européen
Ces propositions de modification du règlement proviennent sûrement d’action de lobbying de compagnies aériennes, et même plus probablement d’une compagnie aérienne low costs.
“Cette proposition de modification vient sans doute d’une action de lobbying d’une compagnie aérienne. Les demandes de modification concernant les petits aéroports ou les aéroports subventionnés laissent à penser qu’elles favoriseraient particulièrement des compagnies comme Ryanair qui sont déjà très réticentes à payer des indemnités aux passagers”. explique Anaïs Escudié.
Ce règlement Européen coûte des millions d’euros chaque année aux compagnies qui ne sont pas ponctuelles. Un retour en arrière signifiera moins d’effort faits par les compagnies pour améliorer leur ponctualité. Air France a notamment mis en place une meilleure organisation avec plus d’avions et d’équipages de réserve pour pallier les problèmes opérationnels. Conséquence : plus de ponctualité et moins d’indemnités à verser aux passagers.
« En 2019, des compagnies comme Air France se sont mieux organisées pour éviter les retards et les annulations avec notamment la mise en place d’avions et d’équipage de réserve supplémentaires. Les vols perturbés coûtent cher en remboursements et indemnités à payer aux passagers. La conséquence de la réorganisation d’Air France a donc été une meilleure ponctualité et une meilleure qualité de service pour les passagers. Ces modifications constitueraient un retour en arrière considérable pour le transport aérien européen” analyse Anaïs Escudié
Ces modifications ont-elles des chances d’être adoptées ?
Un règlement est un acte juridique de l’UE qui, lorsqu’il entre en vigueur, s’applique directement à tous les États membres. Si cette nouvelle version du règlement est adoptée, il sera donc très rapidement appliqué, et les passagers seront soumis à des nouvelles dispositions qu’ils ne connaissent pas. Mais nous n’en sommes pas encore là ! Il existe plusieurs longues étapes avant qu’un règlement soit appliqué.
Cette version défavorable aux passagers du règlement n°261/2004 devrait être présentée à la fin du mois de juin 2020. Le projet devra être lu et analysé conjointement par le Conseil de l’UE et par le Parlement, ce qui signifie que des centaines de comités devront se pencher sur le projet et se prononcer sur cette version du texte, telle que proposée par la présidence croate du Conseil.
Si ces deux organes parviennent à rédiger une version de cette modification jugée satisfaisante par chacun, elle sera adoptée, mais pas encore appliquée. Le nouveau règlement n’entrera pas en vigueur tant que le Parlement et le Conseil n’auront pas approuvé ensemble la même version de ce projet.
Il n’est donc pas impossible que la modification souhaitée par le Conseil de l’Union Européenne ne soit jamais adoptée, si les discussions n’aboutissent pas. Quand bien même elle serait adoptée, il se peut que la nouvelle version du règlement n°261/2004 n’entre jamais en vigueur si tous les États membres ne sont pas d’accord avec ces nouvelles dispositions.
Les passagers aériens peuvent donc pour le moment toujours bénéficier du droit d’être indemnisé pour le préjudice subi du fait de la perturbation de leur vol. Le règlement européen n’est pour l’instant pas modifié, et il faut se féliciter qu’il reste la plus importante protection qui soit des passagers aériens.
Très bonne article ravie de le lire.