Un Règlement favorable à l’indemnisation des passagers aériens est entré en vigueur le 15 décembre 2019 au Canada. C’est une grande avancée pour les droits des passagers, à l’image du Règlement européen 261/2004 dont il s’est profondément inspiré.
Il s’agit effectivement de proposer une indemnisation forfaitaire aux passagers dont le vol a été retardé, annulé, ou qui se sont vus refuser l’accès à bord. Les passagers concernés n’ont pas à apporter la preuve de leur préjudice, et n’ont qu’à réclamer l’indemnisation aux compagnies. Il faut bien sûr s’attendre à ce que, dans les faits, l’indemnisation ne soit pas aussi facilement versée par les compagnies.
Ce Règlement sur la protection des passagers aériens (DORS/2019-150) a été modernisé par le DORS/2022-134. Grâce aux nouvelles dispositions du Règlement canadien annoncées par l’Office des transports du Canada (OTC), les passagers se retrouvent protégés d’une manière inédite. À compter du 8 septembre 2022, les compagnies aériennes sont également tenues de rembourser les passagers pour les annulations et longs retards de vol si les passagers ne peuvent pas être replacés sur un autre vol dans les 48 heures suivantes, et ce même si l’annulation ou le retard du vol n’est pas attribuable à la compagnie aérienne.
Il est légitime de se demander pourquoi, en si peu de temps, l’OTC a été saisi une nouvelle fois afin d’établir des obligations supplémentaires pour les transporteurs envers les passagers. Sans grande surprise, la pandémie du COVID-19 en a été la principale cause car elle est constitutive d’une circonstance extraordinaire. La circonstance extraordinaire, c’est l’évènement incontrôlable que la compagnie ne saurait éviter, quand bien même, elle prendrait toutes les mesures nécessaires pour ce faire. Tels sont les cas d’un évènement météorologique, d’une grève des contrôleurs aériens ou encore d’une pénurie de carburant.
De fait, la crise sanitaire a révélé au grand jour les lacunes du Règlement canadien de 2019 et l’impossibilité des passagers à être réacheminés. Puisqu’un vol impacté par le COVID-19 était considéré comme constitutif d’une circonstance extraordinaire et que par la suite le passager de ce vol ne pouvait pas être réacheminé, alors il était complètement perdant, car il ne pouvait pas récupérer le remboursement de son billet d’avion non consommé.
Pour pallier ce désavantage, le ministre Justin Trudeau a émis une Directive relative à l’annulation de vols dans les situations indépendantes de la volonté des transporteurs le 18 décembre 2020 DORS/2020-283.
Le but était alors de confier à l’OTC la tâche d’élaborer un nouveau Règlement qui avantagerait les passagers ayant subi une circonstance extraordinaire et de les rembourser.
Ces nouvelles dispositions sont remarquables et encore plus protectrices du passager soumis à la loi canadienne. Toutefois, selon le Règlement canadien, les transporteurs devront verser les remboursements dans les 30 jours, un décalage avec le délai de versement de 7 jours prévu par le Règlement européen n°261/2004 que l’OTC reconnaît et assume, car plus réaliste.
Le but de cet article est de comparer deux systèmes qui se veulent protecteurs des passagers et d’en apprendre plus sur la réglementation canadienne. Il sera donc intéressant de d’abord comparer textuellement les dispositions des deux Règlements, d’insister sur le caractère particulièrement protecteur de la réglementation canadienne et de finalement s’interroger sur les conséquences d’un tel niveau de protection sur les autres systèmes, notamment le système européen.
Comparaison textuelle avec le Règlement européen 261/2004
Nous avons choisi de présenter cette nouvelle loi canadienne en la comparant avec le Règlement européen 261/2004. Il est toujours intéressant de constater les dissemblances entre les différents systèmes juridiques, et ce, d’un continent à l’autre.
Champ d’application
● Règlement Canadien : tous les vols depuis, vers, ou à l’intérieur du Canada. Les nouvelles exigences du Règlement s’appliquent également à tous les vols de correspondance, à compter du 8 septembre 2022. Il s’applique aussi bien aux passagers qu’à leurs bagages ;
● Règlement Européen : tous les vols au départ de l’Union Européenne, ainsi que les vols au départ de pays tiers, mais en direction de l’Union Européenne s’ils sont opérés par une compagnie européenne. Toutefois, ce Règlement ne s’applique pas aux bagages des passagers.
Montants des indemnisations
- Règlement Canadien (les montants sont exprimés en $CAD) :
- Surbooking :
- Si le passager arrive moins de 6 heures après l’heure d’arrivée prévue : $ 900 ;
- Si le passager arrive plus de 6 heures après l’heure d’arrivée prévue : $ 1 800 ;
- Si le passager arrive plus de 9 heures après l’heure d’arrivée prévue $ 2 400 ;
- Bagages : jusqu’à $ 2 100 en cas de bagage perdu, endommagé, ou retardé d’au moins 21 jours. Les frais payés pour le bagage seront remboursés.
- Retard et annulation avec réacheminement (la distance n’importe pas) :
- De plus de 3 heures :
$ 400 pour une grande compagnie (celles qui ont transporté plus de deux millions de passagers au cours de chacune des deux années précédentes),
$ 125 pour une petite compagnie ; - De plus de 6 heures :
$ 700 pour une grande compagnie,
$ 250 pour une petite compagnie ; - De plus de 9 heures :
$ 1000 pour une grande compagnie,
$ 500 pour une petite compagnie ;
- De plus de 3 heures :
- Surbooking :
- Règlement européen :
- De 250€ à 600€ selon la distance du vol ;
- Possibilité de réduire l’indemnisation de 50 % dans certaines circonstances
Prise en charge des passagers
● Règlement Canadien : à partir d’un retard de 2 heures, prise en charge des frais de rafraîchissement, restauration, et éventuellement de l’hôtel et du transport entre cet hôtel et l’aéroport si le vol est retardé jusqu’au lendemain ou remplacé par un vol le lendemain. Un moyen de communication doit être fourni aux passagers
● Règlement Européen : à partir d’un retard de 2 heures, prise en charge des frais de rafraîchissement, restauration, et éventuellement de l’hôtel et du transport entre cet hôtel et l’aéroport si le vol est retardé jusqu’au lendemain ou remplacé par un vol le lendemain. Un moyen de communication doit être fourni aux passagers.
Exclusions
● Règlement Canadien : conditions météorologiques difficiles ; problèmes techniques qui ne peuvent être décelés par un entretien ordinaire ; grèves dont la cause est extérieure à la compagnie ; régulation du trafic par les contrôleurs aériens ;
● Règlement Européen : conditions météorologiques difficiles ; problèmes techniques résultant d’un vice caché dont le constructeur est responsable ; grèves dont la cause est extérieure à la compagnie ; régulation du trafic par les contrôleurs aériens ; collision aviaire.
Procédure de dépôt de la réclamation
● Règlement Canadien : pas de procédure de dépôt des réclamations prévue, mais les passagers sont encouragés à contacter tout d’abord les compagnies avant de contacter l’Office Canadien des Transports si la compagnie ne répond pas ou refuse l’indemnisation sans justification. Si la compagnie ne parvient pas à démontrer la circonstance la libérant de son obligation d’indemniser les passagers, l’Office peut la condamner à payer jusqu’à 25 000 dollars canadiens ;
● Règlement Européen : aucune procédure de prévue par le règlement pour effectuer une réclamation. Chaque pays est doté d’une autorité chargée de faire respecter le règlement, mais celles-ci ne peuvent pas forcer les compagnies à indemniser les passagers.
Prescription
● Règlement Canadien : 1 an à compter de la date prévue d’arrivée du vol ;
● Règlement Européen : cela dépend du pays sur le territoire duquel la compagnie est assignée (si la compagnie est assignée en France, la prescription est limitée à 5 ans après la date prévue d’arrivée du vol). Si le vol est au départ de Belgique, la prescription est d’un an seulement.
Le Règlement canadien protège-t-il mieux ou plus les passagers aériens que le Règlement européen n°261/2004 ?
A priori, oui. Du moins, le Règlement canadien à jour de ses nouvelles dispositions depuis le 8 septembre 2022 couvre plus de situations dans lesquelles le passager peut se trouver. Par exemple, dans le Règlement européen n°261/2004, il n’est fait nulle part mention des soucis liés aux bagages. Si un passager souffrait d’une perte de bagage ou d’un bagage endommagé, il ne pouvait obtenir gain de cause grâce au Règlement européen étant donné qu’il ne traite pas de tels sujets. À l’inverse, le Règlement canadien prévoit le versement d’une indemnisation au passager dont le bagage a été endommagé ou perdu, même s’il s’agit d’une perte temporaire. Depuis septembre 2022, pour les passagers qui choisissent le remboursement de leur vol, le transporteur sera obligé de rembourser la partie inutilisée de son billet, mais également tout service acheté non utilisé comme l’ajout d’un bagage enregistré.
Le fait que cette nouvelle loi canadienne s’applique aux bagages perdus ou endommagés est remarquable. Cela facilite grandement les réclamations des passagers concernés, qui n’auront pas besoin de se reposer sur la Convention de Montréal, dont la compensation est plafonnée à environ 1416 €.
Autre nouveauté depuis septembre 2022, le Règlement Canadien propose un champ d’application plus large. Désormais, il s’applique à tous les vols à destination, en provenance et à l’intérieur du Canada, et ce, y compris pour les vols avec correspondance. Autrement dit, il n’existe pas de conditions de nationalité de la compagnie qui opère le vol, contrairement au Règlement européen n°261/2004. Bien que le Règlement n°261/2004 se soit modernisé grâce à la jurisprudence de la Cour et que son champ d’application s’est élargie de manière considérable (CJUE, 7 avril 2022, aff. C-561/20), la condition de la nationalité de la compagnie reste un obstacle. Pour que le Règlement n°261/2004 soit applicable pour les vols à destination de l’Union Européenne, la compagnie aérienne doit impérativement être de nationalité européenne.
Autre élément non négligeable du Règlement canadien, c’est qu’il prévoit lui-même des sanctions administratives pécuniaires en cas de non-respect de ses dispositions. Ces nouvelles exigences sont incluses à l’annexe du Règlement sur la protection des passagers aériens DORS/2019-150. L’ORC surveille la conformité des transporteurs aux exigences du Règlement canadien et veille à la bonne application de ses dispositions. Autrement dit, il existe des sanctions déterminées et précises qui ne changent pas, ce qui rend la loi canadienne prévisible et claire.
L’article 16 du Règlement européen n°261/2004 prévoit quant à lui que chaque État membre désigne un organisme chargé de l’application du présent règlement en ce qui concerne les vols au départ et à l’arrivée de son territoire et que les sanctions pour les violations du Règlement sont établies par les États membres eux-mêmes. Les sanctions ne seront donc pas les mêmes d’un État membre à l’autre, bien qu’elles doivent être harmonisées. Cela n’est pas si étonnant vu la taille du continent et le territoire de l’Union Européenne qui comporte plusieurs États membres.
Un des avantages du Règlement canadien, c’est que l’indemnisation offerte aux passagers est déterminée en fonction du nombre d’heures de retard, et non pas en fonction de la distance de vol comme dans l’Union Européenne. D’un point de vue économique, c’est très avantageux pour le passager.
Par exemple, en France, un passager qui aurait eu plus de 10 heures de retards pour un vol Paris-Nice ne pourra recevoir que 250 € d’indemnisation alors qu’un passager canadien pourra percevoir 2 400 dollars canadiens, soit 1668 € pour un vol dont la distance est équivalente.
Enfin, la plus grande innovation qu’apporte la modification du Règlement canadien est le fait que les compagnies aériennes sont maintenant tenues de fournir aux passagers soit un remboursement, soit une nouvelle réservation, au choix du passager, en cas d’annulation de vol ou de retard prolongé attribuable à une situation indépendante de la volonté de la compagnie aérienne. Ce qui est appréciable ici, c’est que le Règlement canadien précise le délai, à savoir que les passagers doivent être réacheminés dans un délai maximum de 48 heures, autrement, ils seront en droit d’exiger le remboursement de leur billet d’avion. À l’inverse, dans le Règlement européen, l’article 8 relatif au réacheminement et au remboursement reste assez flou. Il est énoncé que le réacheminement doit être effectué “dans des conditions de transport comparables et dans les meilleurs délais”. Cette formulation pose un problème en pratique, car elle est vaporeuse et imprécise, quels sont ces “meilleurs délais” pour un passager dans l’attente d’un nouveau vol ?
Attention, tout n’est pas si parfait chez nos voisins canadiens en termes de protection des passagers, et ce, d’après Sylvie de Bellefeuille, avocate pour l’organisme québécois Option consommateurs. Cette dernière clame que la période de 48 heures des transporteurs aériens pour réacheminer les passagers est encore beaucoup trop longue pour les passagers qui prennent l’avion dans l’optique d’assister à un évènement particulier. Selon elle, si un passager est réacheminé un dimanche pour un évènement particulier se déroulant le samedi auquel il doit assister, alors ces 48 heures de vide ne servent à rien et permettent juste à la compagnie aérienne de se dédouaner. En tous les cas, ce délai précis de 48 heures inclus dans la réglementation de nos amis canadiens a le mérite d’exister.
Remarques supplémentaires
Il est intéressant de remarquer que la nouvelle loi canadienne a choisi de ne pas faire peser la même charge financière sur les compagnies, en fixant le montant de l’indemnité forfaitaire selon la taille de la compagnie.
Une grande compagnie est définie comme ayant transporté un total de deux millions de passagers ou plus, dans le monde, au cours de chacune des deux années civiles précédentes. Il est donc également conseillé de choisir sa compagnie selon sa taille, car ceci aura une influence sur le montant de votre indemnisation.
Attention : il n’est pas possible de cumuler la loi canadienne et le Règlement européen, lors du dépôt d’une réclamation ou en cas d’assignation d’une compagnie, si le Règlement n°261/2004 a vocation à s’appliquer (vol au départ de l’Union Européenne ou vol hors départ UE avec compagnie européenne). Le Règlement européen étant une convention de droit substantiel intégrée à l’ordre juridique français, ce dernier prévaut sur la loi canadienne.
Enfin, pour les vols du Canada vers l’Europe avec une compagnie canadienne (Air Transat, Air Canada par exemple), le règlement Européen ne s’applique pas, mais le Règlement Canadien si. Les passagers sont désormais protégés pour les vols entre l’Europe et le Canada, et ce, peu importe la nationalité de la compagnie.
Quoi qu’il en soit, le Canada peut être félicité d’avoir mis en place une des meilleures protections des passagers aériens au monde. Seul le Canada et l’Union Européenne disposent pour le moment d’une législation plutôt favorable aux passagers. Espérons donc que d’autres États soient inspirés par ce mouvement et que l’Union Européenne procède à une révision de son Règlement qui date, rappelons le, de presque une vingtaine d’années !