La pandémie de Covid-19 a provoqué l’arrêt quasi-total du transport aérien. Les compagnies aériennes font face à une crise sans précédent, et voient leur trésorerie fortement impactée par l’arrêt des vols et la diminution des réservations par les passagers. Ces derniers souhaitent en majorité être remboursés par les compagnies aériennes, mais celles-ci leurs proposent à la place souvent un simple avoir.
C’est une violation des obligations imposées aux compagnies par le règlement européen n°261/2004, qui protège les passagers aériens en cas d’annulation de leur vol. Le gouvernement Français prend maintenant la défense des compagnies aériennes devant la Commission Européenne afin de suspendre cette obligation.
Le gouvernement Français au secours des compagnies aériennes
Le Secrétariat d’État au Transport a révélé que le gouvernement français milite actuellement auprès de la Commission Européenne pour que soit suspendue l’obligation de remboursement des passagers en cas d’annulation de leur vol. À la place, le gouvernement propose que les compagnies puissent offrir un avoir aux passagers, à l’image du droit dont bénéficient les agences de voyage depuis l’ordonnance du 25 mars 2020, dans le cadre de forfaits touristiques.
Le but est de ménager la trésorerie des compagnies aériennes, en mauvais état et menacée par les demandes massives de remboursement. Le risque de faillite pour les compagnies est très important, à l’image de la compagnie britannique Flybe, qui a cessé son activité au début du mois de mars.
La Commission Européenne agit pourtant déjà en faveur des compagnies aériennes, en autorisant notamment les aides d’État aux compagnies (prêt public subventionné, garanties d’État à des emprunts bancaires entre autres), ce qui est habituellement interdit par le droit européen.
Quelle différence avec l’ordonnance du 25 mars 2020 ?
Récemment, le gouvernement a décidé de protéger un autre acteur important du tourisme : les agences de voyage. L’annulation de très nombreux vols, puis les mesures de confinement ont mis en suspens l’activité des voyagistes, qui font face à des réclamations massives de leurs clients souhaitant être remboursés. Afin d’éviter leur faillite, le gouvernement les a expressément autorisé, sur une période limitée, à ne pas rembourser leurs clients mais à leur proposer un avoir valable 18 mois, remboursable à l’issue de cette durée.
Cette ordonnance n’est pas parfaite : elle n’est valable que dans les cas de vente de forfaits touristiques, à savoir une réservation contenant au moins un vol et une autre prestation, typiquement une nuitée dans un hôtel. Or, les agences de voyages vendent dans de très nombreux cas de simples “vols secs”, sans autre prestation. Dans ces cas-là, les agences de voyage ne sont pas protégées, et doivent en principe rembourser leurs clients. Elles sont actuellement asphyxiées par les demandes de remboursement d’un côté, et les compagnies aériennes qui refusent de les rembourser en reversant la somme correspondante aux voyagistes qui ont vendu leurs billets.
La question du remboursement des vols secs restent donc ouverte, avec d’un côté les compagnies aériennes, et de l’autre les agences de voyage et les passagers aériens. Le sujet est sensible, et il est nécessaire de ménager chaque acteur du tourisme, le client comme le professionnel. S’il est compréhensible que les compagnies aériennes cherchent à se soulager du poids financier des remboursements en cette période de crise, la solution proposée n’est absolument pas favorable aux passagers qui ont déjà payé pour des vols qui ne seront jamais réalisés.
Report des risques financiers des compagnies sur les passagers
Si cette proposition est adoptée, les passagers aériens ne seront pas remboursés immédiatement par les compagnies aériennes. Alors que ceux-ci sont également menacés financièrement (risque élevé de chômage, récession économique d’ampleur mondiale, etc). Le poids financier de la crise est donc reporté sur les particuliers, pas forcément en meilleure posture que les compagnies.
Pire : les passagers qui ont réservés des billets d’avion sont de “simples” créanciers des compagnies, qui doivent accomplir la prestation achetée, ou la rembourser. Ils n’ont cependant aucun moyen d’être remboursés avant d’autres créanciers, notamment les salariés des compagnies aériennes, l’État Français, et certains investisseurs. Si une compagnie aérienne fait faillite, les passagers risquent très fortement de ne pas être remboursés !
“Si la Commission Européenne acceptait la proposition française, les très nombreux passagers aériens concernés ne pourraient tout simplement pas être remboursés avant un an ou plus. Ils pourraient même ne jamais être remboursés en cas de faillite de la compagnie. Jean-Baptiste Djebbari (Secrétaire d’État aux transports) en portera la responsabilité si cela devait arriver.”
indique Anaïs Escudié, Présidente de RetardVol
Le résultat est simple : ce sont les passagers qui risquent de financer la trésorerie des compagnies, alors qu’elles reçoivent des aides de l’État et de l’Union Européenne. Récemment, EUROCONTROL, l’organisation européenne pour la sécurité de la navigation aérienne, a par exemple décidé de reporter le paiement des taxes soutenant le contrôle aérien européen, pour un total de 1,1 milliard d’euros. Ce genre de mesure extrême démontre le manque total de préparation des compagnies, de l’État Français et de l’Union Européenne face aux crises internationales qui menacent le transport aérien. Malgré un important soutien aux compagnies en cette période critique, une partie de la charge de cette crise serait donc supportée par les passagers eux-mêmes.
“Il est totalement inacceptable de demander aux consommateurs de financer la trésorerie de compagnies aériennes qui sont aidées par leurs États ou qui ont manqué de précaution en rachetant leurs actions au détriment de leur trésorerie. Le secrétaire d’État envoie un mauvais signal aux français qui pour nombre d’entre eux se retrouvent déjà dans des situations financières délicates.”
remarque Anaïs Escudié, présidente de RetardVol
Quelle est la probabilité que cette solution soit adoptée en France ?
Le droit européen est la principale raison pour laquelle les compagnies n’ont pas obtenu le droit de ne pas rembourser immédiatement les passagers. L’Union Européenne se positionne généralement de façon très favorable aux consommateurs. C’est pourquoi le règlement européen n°261/2004 est aujourd’hui le texte international le plus protecteur des passagers aériens, et impose aux compagnies de rembourser sans délai les passagers dont les vols ont été annulés. La pratique actuelle des compagnies aériennes, qui ne proposent que des avoirs ou des reports des vols, se heurte donc au règlement européen.
La Commission Européenne a déjà été approchée par les compagnies aériennes afin d’obtenir la suspension de l’obligation de remboursement, et a refusé d’accorder cette mesure. Aujourd’hui, ce sont donc les différents gouvernements de l’Union Européenne qui prennent le sujet en main et font du lobbyisme auprès des institutions européennes. La proposition de la France n’est pas unique : l’Allemagne et l’Italie ont ainsi adopté des lois autorisant les compagnies aériennes à ne pas rembourser les passagers en numéraire. Les États ont assurément plus de poids que les compagnies, et la Commission Européenne n’est pas sourde aux plaintes de ces dernières : le commissaire européen à la justice, Didier Reynders, a confirmé que la Commission travaillait à une solution permettant aux compagnies de ne pas rembourser immédiatement les passagers, tout en associant les avoirs à une garantie permettant de rembourser plus tard, et sans risque, les passagers.
📣 »La réglementation européenne est claire: le consommateur a droit au remboursement. Mais vu la situation, on travaille sur une alternative »@dreynders sur le remboursement des vols annulés suite à la #COVID19Pandemic
— LN24 (@LesNews24) April 3, 2020
Toute son interview: https://t.co/ypGd7V8Xuy@Le_Bux pic.twitter.com/WzN05NOcA7
En conclusion, il n’est pas improbable qu’une telle mesure soit adoptée en France ni même au niveau Européen. Cette mesure serait limitée dans le temps, en ne concernant que les vols annulés à cause de la pandémie. Il est cependant nécessaire de prendre en compte les intérêts des passagers en les protégeant davantage. Affirmer que les éventuels avoirs seront remboursables après plus d’un an n’est absolument pas suffisant. Ceci ne protège pas les passagers contre les risques de faillite des compagnies, et ne prend pas en compte la possibilité d’un prolongement de la crise que connaît le secteur du tourisme. Les particuliers concernés ne souhaiteront peut-être pas, voire ne pourront tout simplement pas voyager prochainement.
L’Union Européenne comme l’État Français doit impérativement protéger les passagers aériens. À défaut, les passagers risquent de ne jamais être remboursés, et de perdre toute confiance envers la plupart des compagnies aériennes et envers les institutions.
Pour plus d’information sur les droits des passagers aériens face à la pandémie, consultez notre article de blog sur le sujet.